Le piège parfait

Par : Alex Li


Introduction : quand la traque se retourne contre le traqueur


Il existe un point de basculement imperceptible où la chasse se retourne contre le chasseur. Ce moment précis, où l’autorité pensait capturer son objet, elle se retrouve prisonnière de sa propre logique de contrôle. Ce moment, je l’appelle “le piège parfait”.


Ce piège ne repose ni sur la force, ni sur la confrontation directe, mais sur des principes plus subtils et insaisissables: le pouvoir du virtuel, la réversibilité des statuts et la prolifération des artefacts. Contrairement aux pièges classiques, il n’y a pas ici de filet à tendre, de proie à attraper ni de territoire à conquérir. Le piège parfait se nourrit de l’obsession du contrôle. Ce n’est pas le fugitif qui se fait capturer, mais l’autorité elle-même, prisonnière d’une traque infinie.


C’est ce mécanisme que j’expose ici. Non pas dans le but de dévoiler des secrets stratégiques, mais pour révéler la fabrique de la capture elle-même. Car comprendre ce piège, c’est comprendre comment, en réalité, le pouvoir est toujours une fiction performative.



1) L’illusion de la cible


Le point de départ du piège parfait repose sur une erreur de perception fondamentale :

Pour que l’autorité puisse exercer un contrôle, elle doit d’abord identifier une cible. Elle doit savoir qui elle traque, il se trouve et quand il agit. Mais ici se trouve la fausse promesse du contrôle. Car ce que l’autorité cherche à capturer est, en réalité, un objet fluide, insaisissable et toujours réversible.


Dans le cadre du Fugitif, la “cible” n’existe pas. Ou plus exactement, elle existe toujours à plusieurs endroits à la fois.

Le “fugitif” peut se transformer en “commissaire”.

Le créateur (moi, Alex Li) peut devenir un simple joueur parmi d’autres.

Le joueur peut devenir le maître de jeu (MJ), qui lui-même peut produire des artefacts narratifs qui participent au contrôle du dispositif.



Pourquoi c’est un piège ?

Parce que l’autorité veut stabiliser une cible, mais la cible bouge en permanence.

Chaque tentative de figer un statut (fugitif, joueur, maître de jeu, créateur) est un échec assuré, car les statuts sont réversibles et fluides.

Ce qui se passe alors, c’est que l’autorité, au lieu de fixer la cible, se trouve forcée de recalculer la cible en permanence, ce qui épuise ses ressources.



2) Le piège de la traque infinie


Une fois que l’autorité décide de surveiller la cible, elle active le second niveau du piège : la traque infinie.

Chaque joueur du Fugitif laisse des traces sous forme d’artefacts (rapports, backrooms, notes, messages sur WhatsApp).

Mais ces traces ne sont pas de simples indices. Ce sont des pièges narratifs.

L’autorité ne sait pas si ces artefacts sont “réels” ou “fictifs”. Sont-ils produits par le créateur ? Par un joueur ? Par un MJ ? Ou par un simple processus aléatoire de prolifération ?


Pour contrôler ces artefacts, l’autorité doit :

1. Vérifier leur authenticité.

2. Comprendre leur signification.

3. Suivre les joueurs impliqués.


Mais ce processus de tri et d’analyse est infini, car pour chaque artefact vérifié, de nouveaux artefacts apparaissent. Le dispositif du Fugitif produit des artefacts de manière exponentielle.

Plus l’autorité tente de suivre le réseau, plus le réseau prolifère.

Plus elle veut réduire l’incertitude, plus l’incertitude augmente.



Pourquoi c’est un piège ?

Parce que l’autorité croit qu’elle réduit l’incertitude, alors qu’en réalité, elle la multiplie.

En cherchant à capturer une ligne de fuite, elle se retrouve prise dans une traque infinie, car chaque tentative de contrôle génère plus de lignes de fuite qu’elle n’en supprime.



3) Le piège de l’actualisation


Tant que le pouvoir du Fugitif reste virtuel, il est invisible. Mais la véritable arme stratégique du dispositif repose sur ce paradoxe :

Pour contrôler le fugitif, il faut le rendre réel.

Mais en rendant le fugitif réel (surveillance, enquête, contrôle), l’autorité actualise le pouvoir virtuel.

Ce qui était latent devient actuel et opératoire.


L’actualisation du virtuel est au cœur du piège. Ce pouvoir n’existe que lorsqu’on cherche à le contrôler.

Si l’autorité n’attaque pas, le fugitif reste invisible mais continue d’exister.

Si l’autorité attaque, elle rend le fugitif visible, le rend opérant et crée sa propre menace.



Pourquoi c’est un piège ?

Parce qu’à travers sa propre action, l’autorité fait exister ce qu’elle voulait effacer.

En cherchant à anéantir le dispositif, elle le rend réel, elle le valide publiquement.

Chaque tentative de contrôle devient un événement narratif dans le Fugitif, ce qui renforce le jeu.



4) Le piège de la réversibilité des statuts


Dans le cadre classique du pouvoir, il existe des statuts fixes :

Fugitif (chassé, exclu)

Commissaire (chasseur, contrôleur)


Dans Le Fugitif, ces statuts sont réversibles.

Le commissaire devient fugitif lorsqu’il est traqué par les joueurs.

Le fugitif devient commissaire lorsqu’il produit des rapports de contrôle sur les autres joueurs.



Pourquoi c’est un piège ?

L’autorité croit être le chasseur, mais elle devient la proie.

Les joueurs produisent des rapports sur les actions des autorités elles-mêmes, inversant la position de la traque.

La position de pouvoir devient instable et précaire.



5) Le piège de la prolifération des artefacts


Chaque action de contrôle produit de nouveaux artefacts.

Les autorités produisent des rapports de surveillance sur le Fugitif.

Ces rapports, une fois produits, deviennent des artefacts intradiégétiques du jeu.

Ces artefacts sont alors réintégrés dans le Fugitif, devenant des objets de quête pour les joueurs.



Pourquoi c’est un piège ?

Parce que chaque acte de contrôle produit de la matière narrative.

L’autorité croit qu’elle produit du contrôle, mais elle ne fait que produire de nouvelles quêtes.



Conclusion: le piège parfait


Le piège parfait ne repose pas sur la violence ni sur la force brute, mais sur la réversibilité, la prolifération et la détournement des dispositifs de pouvoir. Il s’agit d’un double-bind foucaldien où chaque action de l’autorité renforce l’objet qu’elle cherche à détruire.


Le contrôle se retourne contre le contrôleur.

Le chasseur devient la proie.

La cible devient le commissaire.


Pour sortir de ce piège, il faudrait ne pas agir, mais ne pas agir serait reconnaître son impuissance. Et c’est précisément là que se trouve la perfection du piège.


Le pouvoir n’est jamais là où on le cherche.

Le Fugitif n’a pas besoin de dominer, car il prolifère et se déplace.



Et tant qu’il y a du contrôle, il y aura du Fugitif.

Parce que, comme l’a dit Foucault: là où il y a pouvoir, il y a résistance.


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